Une histoire de maïs
La première fois que nous sommes allés jardiner avec l’association “Les Jardins Nourriciers” en février 2020, pendant que nous préparions le sol pour la saison à venir, nous avions remarqué des morceaux de plants de mais de la saison précédente. Ceci nous a rapidement conduit à parler à Camille d’un projet que nous menons avec des amis autour de la culture d’une variété de maïs mexicaine en Europe…
Depuis des millénaires, les ingénieux agriculteurs mexicains ont domestiqué le téosinte (un ancêtre du maïs), travaillant avec l'abondance inhérente à la nature pour développer une plante hautement productive, avec une telle résilience quelle peut être cultivée dans une grande diversité de climats et de terrains. La demande mondialisée d'aujourd'hui pour le maïs et ses produits dérivés a conduit à la monoculture industrialisée de la plante, en proie à une sélection excessive pour répondre à des critères très spécifiques, des modifications génétiques et à l’utilisation intensive de pesticides. Heureusement, étant donné l'importance culturelle du maïs au Mexique et grâce aux efforts de certains agriculteurs, de rares variétés indigènes on été préservées en accord avec les principes originels d’une relation plus harmonieuse avec la terre.
Un ami qui a crée la ferme en permaculture Rancho Acayali près de la ville de Coatepec (Veracruz, Mexique) fait parti de ces agriculteurs. Il préserve une variété indigène de maïs qui lui a été offerte depuis plus de 20 ans en prenant soin de la protéger des produits chimiques et des OGM et de produire suffisamment de graines pour maintenir la variété saine et vigoureuse. Il s’agit d’une variété montagnarde nommée Tonalmile, ce terme se référant en fait à la saison des semailles : entre septembre et mars selon la zone géographique. Nous avons eu la chance qu’il nous en offre des graines que nous avons tenté de cultiver avec groupe d’amis, en 2019 sur un terrain près de Londres. Malgré un sol très dense et argileux et des conditions difficiles lors des semailles (gel et orages violents) la plante s’est adaptée et a très bien poussé. Malgré le manque de temps pour arriver à maturité avant l’hiver, nous avons obtenu des graines que nous avons replanté en 2020.
En écoutant notre histoire et depuis sa propre expérience de la culture de maïs mexicains, Camille a été très enthousiaste à l’idée de cultiver cette variété avec les Jardins Nourriciers et à proposé un terrain isolé dans la montagne, près du col de Marignac, afin d’éviter le croisement avec d’autres variétés de maïs.
Étapes de la culture
Le terrain étant situé dans une zone de gels tardifs, nous avons donc décidé de semer sous serre. Nous avons planté environ 300 graines dans des cubes de terreau à la mi-avril. Le maïs a très bien germé et nous l’avons mis en terre au début du mois de Juin. Il a seulement été arrosé pendant qu’il était sous serre et au moment où il a été planté. A la fin du mois de Juillet nous avons paillé et buté les pieds. Nous avons eu la chance d’avoir un mois de juillet très pluvieux, sans quoi nous aurions probablement du arroser le champ.
A la mi-septembre, nous avons trouvé un champignon sur certains pieds, nommé huitlacoche (charbon du maïs) qui infecte les grains de maïs. Ce champignon est considéré comme un met délicat au Mexique où parfois comparé à la truffe, et nous nous sommes effectivement régalés.
Comme en Angleterre, les plants se sont très bien adaptés aux conditions du terrain en France. Nous avons eu une belle récolte d’elotes (jeunes épis) qui ont été inclus dans les paniers de légumes que distribue l’association. Le reste des épis a été récolté au début du mois de novembre pour être séché. Nous avons obtenu suffisamment de grain pour la transformation (voir section suivante) et la sélection des graines.
Notre ami au Mexique nous a recommandé de sélectionner au moins 20 épis parmi 200 plants pour maintenir la variété au long terme. Nous les avons sélectionné selon plusieurs critères, afin de maintenir la diversité génétique et d’augmenter le rendement. Nous avons gardé les épis les mieux grainés, et sur lesquels les grains étaient les plus mûrs, mais aussi les épis provenant de plants qui en avaient produit 2 ou 3 et qui avait l’air les plus vigoureux et sains.
Nixtamalisation
La nixtamalisation est un procédé de transformation du maïs par lequel il est trempé et cuit dans une solution alcaline, habituellement de l’eau de chaux. Les premières traces de nixtamalisation ont été trouvé au sud du Guatemala avec du matériel datant de 1200-1500 av. JC, et la cuisine traditionnelle mexicaine comporte beaucoup de plats basés sur le maïs nixtamalisé.
La nixtamalisation améliore les qualités nutritionnelles du maïs notamment en augmentant la bio-disponibilité en niacine (vitamine B3) ainsi qu’en différents acides aminés, et en minéraux (calcium, fer, cuivre et zinc) qui sont présents dans la solution alcaline et absorbés par les grains. Elle rend aussi le maïs plus digeste, et lui confère une délicieuse saveur très caractéristique de la cuisine mexicaine.
Nous avons fait bouillir les grains dans une solution de chaux pendant 30min et les avons laissé trempé dans cette même solution toute la nuit. Nous avons utilisé environ 5gr de chaux pour 1L d’eau et 250gr de grains secs. Les quantité et temps de cuisson et trempage peuvent varier selon la variété de maïs. Le jour suivant, nous avons frotté et lavé à l’eau clair les grains, afin d’enlever le péricarpe. Le grain ainsi préparé est appelé nixtamal.
Nous avons ensuite moulu le grain dans un moulin a grain avec la mouture la plus fine, et ajouté de l’eau et du sel pour faire une pâte appelée masa. Il faut ajouter le plus d’eau possible en faisant en sorte que la pâte ne soit pas collante. La masa peut être utilisée pour faire des tortillas ou des tamales.
des tortillas et cuisson des tortillas.
Remarques pour l’avenir
Les grains récoltés n’étaient pas totalement arrivé à maturité. Nous avons choisi de récolter au début du mois de novembre afin d’éviter que le maïs ne subisse le gel et ne moisisse à cause de l’excès d’humidité, mais les maïs indigènes cultivés dans les climats tropicaux/sub-tropicaux ont typiquement des cycles de culture plus long. Pour avoir des graines encore plus robustes nous aimerions trouver une moyen de semer plus tôt et récolter plus tard.
Par ailleurs, certains des épis n’étaient pas bien grainés et nous pensons que cela peux s’expliquer par une trop grande distance entre les pieds. L’année prochaine, nous aimerions essayer une manière de planter plus proche de la façon traditionnelle au Mexique avec un écart de 70cm entre les plants.
Nous avons beaucoup appris de cette expérience et avons hâte de recommencer cette année. Nous sommes aussi très enthousiastes à l’idée de continuer d’apprendre et de partager cette manière de travailler avec et de consommer le maïs qui nous est chère, et très peu courante en Europe.
En se préparant pour la prochaine semis au col de Marignac, nous exprimons notre profonde gratitude envers les jardins nourriciers, et en particulier Tim et Camille pour leur enthousiasme pour leur projet et toute l’aide qu’il ont apporté.
Shamanthy Ganeshan & Jean Ollion / photos: Natalia Zamudio